RESUME-CHRONIQUE DU LIVRE « AFROTOPIA » de Felwine Sarr
par Sandy Abena
QU’EST-CE QU’ AFROTOPIA ?
Nous avons tous croisé le mot « Utopie » à un moment où à un autre de notre vie. L’Utopie, ce monde imaginaire tiré du livre Utopia de Thomas Moore. Cet idéal politique et social qui ne tient pas compte de la réalité. Ainsi, quand j’ai choisi qu’ Afrotopia serait le premier livre de mon défi afro curieux 27 livres en 27 semaines, je m’attendais à découvrir une sorte d’idéal africain non-atteignable. Je m’attendais à voyager vers le Wakanda littéraire d’une Afrique fictive et irréelle.
Mais il n’en est rien.
Afrotopia, ce n’est pas un remake type « L’Afrique au pays des merveilles ». Ce livre, c’est l’exposé concret et réfléchi du professeur sénégalais Felwine Sarr. C’est une réflexion profonde qui prend appui sur les réalités africaines et propose une solution aujourd’hui, pour créer l’Afrique de demain. C’est un plan à suivre et un état d’esprit à adopter en tant qu’africains.
Que cela fut au moment des indépendances où l’on attribuait au continent des mots tels que « à la dérive », « miséreuse » ou « sous-développée ». Ou que cela soit aujourd’hui, dans cette nouvelle mode médiatique d’Afro-optimisme où les mêmes d’hier parlent à présent d’Afrique de l’avenir. Dans les 2 cas, nous avons le même problème. Nous avons ici, l’avis de « ce que le monde pense de l’Afrique ». Nous n’avons pas l’avis des africains. Dans Afrotopia, on remet les choses à leurs places. On parle d’une Afrique actuelle pensée par les africains.
D’ailleurs, ce livre, c’est aussi un hommage à toute la Pensée africaine et afro-descendante. En effet, vous verrez que l’écrivain appuie la plupart de ses idées sur les écrits de l’un ou de l’autre de ses confrères. De Césaire à Senghor en passant par Paul Gilroy, c’est comme si Felwine Sarr avait réuni autour d’une table les plus grands intellectuels africains, antillais et afro-descendants en leur soumettant le sujet « Afrotopia ». Ce livre, c’est comme leur réponse commune.
Pourquoi est-ce qu’il faut une Africaine africaine pour une Afrique puissante ? La réponse en 5 points !
1. Une Afrique forte, ce n’est pas une Afrique qui fait un copier-coller du modèle de « réussite » occidental. C’est une Afrique qui détermine sa propre définition du progrès, du développement et de la modernité.
Le monde d’aujourd’hui est évalué par des mécanismes tels que le PIB, la Banque Mondiale et le FMI. Ce sont des outils européo-centrés qui ont été généralisés au monde entier.
Or, les concepts économiques pensés par une communauté (ici l’Europe) n’ont aucune légitimité à analyser les réalités d’une autre. Il a été demandé à l’Afrique d’épouser les instituions et les modes de pensée politiques, économiques et sociales d’une Histoire, d’une évolution qui s’est construite ailleurs que sur le continent africain. « Cette transposition du mythe occidental du Progrès a eu pour conséquence […] un enfermement des populations dans un système de valeurs qui n’était pas le leur ».
Prenons l’exemple de l’expression « pays développés ». Cette expression prend toute sa forme dans les années 60, au moment des indépendances africaines. Nous avons d’un côté des anciennes puissances coloniales. De l’autre côté des anciens pays colonisés. Les anciennes puissances coloniales décident qu’il faudrait des outils pour suivre l’évolution de chaque pays. Une manière de pouvoir savoir en permanence « qui est le plus fort ». Elles façonnent un monde où quel que soit le niveau ou le statut d’un pays, il sera forcément évalué au travers de l’échelle de valeur européenne. En d’autres termes, c’est comme si, après avoir mis le feu à votre gazon, votre voisin vous force à jouer au concours de « qui a le plus beau jardin ? ». Mais attention 2 règles dans ce concours. La première c’est qu’on part du principe que l’exemple du jardin parfait, c’est celui de votre voisin. Et le but du jeu, c’est de vous rapprocher au plus près de ce modèle de perfection. Oui, je suis d’accord avec vous. Rien de bien logique dans tout cela.
Une Afrique forte n’est pas une Afrique qui rejoint les dites « grandes puissances mondiales » sur le podium de la richesse. Non. Bâtir une Afrique forte, c’est construire une Afrique pensée par des réalités et des concepts africains. L’Africain doit donner sa définition de ce qu’est le progrès, le développement et de la modernité.
agaravox.tv
D’autant plus que les résultats de la modernité occidentale ne sont pas à prendre pour exemple
Le problème c’est qu’on estime que le progrès se mesure au PIB ou à l’IDH. Donc un pays qui est dans le top 5 des puissances mondiales mais dont plus de 30% de la population est en burn out serait un pays sur lequel il faudrait prendre exemple ?
En effet, la crise mondiale actuelle n’est pas qu’économique. Elle est aussi morale et spirituelle. C’est le résultat d’une société matérielle où la quantité importe plus que la qualité. Le résultat d’une société où le « faire » et l’«avoir » l’emporte sur l’ « être ».
Ainsi, une société africaine forte n’est pas une société dans l’imitation du modèle européen. C’est une société qui prendra son propre chemin et se définira en fonction des besoins de ses peuples
Il s’agit donc de s’autodéterminer et d’en profiter pour ne pas reproduire les mêmes erreurs que la modernité européenne. L’intellectuel sénégalais Bado Ndoye démontre que l’imitation de modèles extérieurs déjà existants ne prenant pas en compte la réalité des cultures locales ne peut conduire qu’à l’aliénation. Et Frantz Fanon disait déjà dans Les Damnés de la terre que l’homme africain ne doit pas « s’inspirer » de ce qui a déjà été fait et devenir une contrefaçon de l’Europe, mais bien chercher la réponse dans son soi intérieur. Aimé Césaire ira même jusqu’à “préférer l’enfer à une version absurdement ratée du paradis” (Moi, laminaire, Aimé Césaire).
2. La solution pour une Afrique forte ? : se réapproprier ses traditions, son Histoire et ses valeurs
Le retour aux traditions : première étape vers une modernité africaine
Avant de continuer, je rappelle que quand on parle de “modernité”, on parle aussi bien de modernité économique, sociale, culturelle, et politique. En bref, des fondements d’une société.
Les travaux de la Bibliothèque Coloniale supposent qu’une modernité africaine ne sera possible qu’une fois qu’ Elle aura mis de côté sa spiritualité et ses traditions.
Point Vocab’ – Bibliothèque coloniale : Cette expression vient du philosophe congolais Valentin Yves Mudimbé. Elle désigne l’ensemble des textes écrits sur le continent par des explorateurs, anthropologues et ethnologues européens. Il s’agit donc de la construction d’une vision et d’imaginaires associés à l’Afrique par les européens.
Valentin-Yves Mudimbé
Cette idée est fausse. Au contraire, c’est justement le fait de renouer avec ses traditions qui permettra de mettre en place un système de valeurs fondamentalement africain. Plusieurs philosophes ont d’ailleurs déjà étudié la question. Parmi eux : le philosophe congolais Oscar Bimwenyi-Kweshi, le théologien camerounais Jean-Marc Ela ou encore le sociologue anglais afro-descendant Paul Gilroy. On retiendra la chose suivante. L’homme africain vacille entre une tradition qu’il ne connait plus et une modernité qu’il subit. La solution ? Il ne s’agit pas d’embrasser aveuglément 100% de la tradition africaine. Il ne s’agit pas non plus de rejeter en bloc tous les éléments de la modernité européenne : “Le chemin d’une modernité africaine constituerait en l’incorporation sélective de technologies, de discours, d’institutions modernes à l’origine occidentale, dans un univers culturel et politique africain, afin d’accoucher d’une modernité distincte et autonome.” Ainsi, il s’agit de retenir uniquement ce qui est en phase avec le système de valeurs africain. Et de rejeter le reste.
Mais de quelles valeurs parle-t-on ?
Les valeurs africaines
Comme toute région du monde, l’Afrique a des valeurs uniques à elle-même. Ces valeurs ne résident pas uniquement dans les traditions d’avant colonisation, mais aussi dans des valeurs communes qui se sont développées au fil du temps. Nous avons notamment :
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Le courage
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La patience face aux secousses historiques qui ont frappé le continent
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Le vivre-ensemble (par exemple, le vivre-ensemble religieux qui devrait être un véritable modèle pour le reste du monde. J’en témoigne dans l’article de mon voyage au Sénégal )
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La capacité d’intégration de la différence
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La notion élargie de la filiation et de la famille
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Le cousinage à plaisanterie
Point Vocab’ – Le cousinage à plaisanterie : C’est une pratique sociale typiquement ouest-africaine qui autorise des membres d’une même famille (tels que des cousins éloignés), certaines catégories de noms de famille (Fall vs Dieng, Niang ou Ndoyene) ou des membres de certaines ethnies, à se moquer ou s’insulter, et ce sans conséquence. Ces affrontements verbaux sont en réalité des moyens de décrispation sociale. On appelle cela “sinankunya” au Mali, ”rakiré” chez les Mossis du Burkina Faso, ”toukpê” en Côte d’Ivoire, ”Kalungoraxu” chez les Soninkés, ”dendiraagal” chez les Halpulaaren, ”kalir” ou ”massir” chez les Sérères ou “Kal” chez les Wolofs. Par exemple au Sénégal, les “Sereer” et les “Haalpulaar” sont cousins à plaisanteries. Ainsi, il sera courant d’entendre dire des haalpulaar que « les Sereer n’ont pas de cerveaux » et sont « les esclaves des Haalpulaar ».
Ces valeurs, nous les retrouvons au quotidien dans la vie quotidienne des africains.
Il faut construire une Afrique africaine : une Afrique à l’image de ses cultures et des réalités de la vie des africains
Malgré ces centaines d’années de domination, la culture est le seul trait africain resté intact. C’est la seule chose qui est si profondément ancré dans le cœur, les tripes et l’âme des africains, qu’il a été impossible de s’en défaire (et on le voit encore aujourd’hui quand on observe les habitudes des afro-descendants des Etats-Unis, d’Europe, des Antilles ou d’ailleurs. Leur culture est très fortement imprégnée des cultures africaines). La culture, c’est la force africaine la plus solide. Donc c’est très simple, l’Afrique sera forte en se basant sur ce qu’elle a de plus fort en elle.
“ Je ne suis pas Africain parce que je suis né en Afrique, mais parce que l’Afrique est née en moi ” Kwame Nkrumah
Dans Afrotopia, on donne l’excellent exemple du Rwanda. Le pays s’est basé sur sa culture pour mettre en place un système juridique et social. Après le génocide de 1994, la question du jugement de milliers de Rwandais s’est posée. Ils ont pris la décision d’appliquer une forme traditionnelle de justice réparatrice appelée les Gacaca. À l’origine, les Gacaca permettaient de régler des différends de voisinage. Il s’agissait d’une assemblée villageoise présidée par des anciens où chacun pouvait demander la parole. Gacaca signifie « herbe douce » en kinyarwanda, c’est-à-dire l’endroit où l’on se réunit. Après une attente d’une décennie, où rescapés et génocidaires ont dû se côtoyer sans que « justice soit faite », le Gacaca a été la solution. On estime que sans cela, il aurait fallu 200 ans à la justice rwandaise pour tous les juger. On a apporté une solution à un problème contemporain en puisant dans les traditions, les valeurs et les cultures africaines.
Sur quels domaines l’Afrique doit-elle se concentrer pour mener à bien ce projet ?
3. Les 4 priorités Africaines d’après Afrotopia : ces éléments du présent sur lesquels les africains doivent travailler pour écrire l’avenir
Bien évidemment, tous les domaines doivent passer par un renouveau africain : la littérature, la musique, l’architecture, l’entreprenariat, le symbolique, le culturel, l’artistique, etc. Cependant, il en existe 4 qui seront les fondements de cette révolution intelligente. Ils sont les suivants : l’université (et l’éducation en général), les villes, l’économie et la politique.
Priorité 1 – l’éducation : Comment est-ce que les universités changeront les sociétés africaines ?
En Afrique subsaharienne les pays sont passés de 58% de scolarisation en 1999 à 77% pour la plupart des pays, en 2011. D’ici 2020, les progrès en termes d’accès à l’éducation seront significatifs. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut augmenter le taux de scolarisation en Afrique, soit. Mais pour apprendre quoi ?
Si les legs de la colonisation sont économiques, politiques et culturels, ils le sont également au niveau de l’éducation. Prenons un fait très révélateur : La France règne en maître sur le marché des manuels scolaires en Afrique francophone. Il faut savoir qu’Hachette par exemple, détient 85% du marché de l’édition scolaire dans ces pays. Que des sociétés françaises comme Total, Bolloré et Areva puisent et pillent les ressources africaines, c’est un fait. Mais que des sociétés françaises comme Hachette et Nathan décident de ce qu’il sera mis, appris et répété dans les cerveaux de la jeunesse africaine, c’est tout autre chose.
Donc que faut-il faire ? Les intellectuels Mudimbé, Kwasi Wiredu et Ngugi nous répondent. Il faut construire des discours pensés selon les critères africains. Egalement, il faut se réapproprier l’Histoire africaine d’avant la colonisation, sa culture et ses civilisations. Dans le cas des universités, il faut réorganiser la manière dont sont enseignés les Sciences Humaines et Sociales dans les universités africaines puisqu’elles sont pensées par l’européen.
L’exemple de l’université Gaston-berger à Saint-Louis (Sénégal). En Afrique, des tentatives ont déjà commencé. Cette université (dans laquelle enseigne Felwine Sarr, l’auteur de ce live) a créé en 2011 une faculté des Civilisations, Religions, Arts et communication (CRAC) ayant pour objectif d’explorer les savoirs issus des sociétés africaines. Le but est d’enseigner ces savoirs à l’université.
Les universités seront véritablement africaines à partir du moment où elles répondront aux problèmes, contradictions des sociétés africaines pour la création de formes sociales nouvelles.
Priorité 2 – les villes : Bamako, Accra, Kinshasa, Abidjan, Bangui, Luanda, Kigali et les autres. Pourquoi est-ce que réfléchir à l’organisation des villes, c’est construire les bases d’une Afrique nouvelle ?
Pourquoi est-ce si important de se concentrer sur les villes ? Parce que la ville est l’illustration parfaite du savoir de l’homme. Et parce que l’urbanisation de l’Afrique est la plus rapide au monde. Aujourd’hui 45% des africains habitent en ville. En 2030, nous aurons 25 millions d’habitants à Lagos, 16 millions à Kinshasa ou encore 5 millions d’habitants à Dakar. Les villes africaines sont donc véritablement une priorité aujourd’hui pour construire l’Afrique de demain.
Luanda, capitale de l’Angola
Comment penser les villes Africaines de demain ? Ici aussi, construire des villes africaines efficaces, c’est construire des villes en phase avec les cultures d’Afrique. Quand vous sillonnez les rues de Dakar à l’heure de la prière, il est tout à fait normal de voire d’importants groupes d’hommes musulmans occuper les trottoirs pour faire la prière ou de voir des hommes faire leurs ablutions dans la rue. Ainsi, pensez-vous qu’il y ait une quelconque logique à penser une ville comme Dakar de la même manière qu’ont été pensées Paris, New-York, Dubaï ou Singapour ? La réponse est non. Les villes africaines doivent ressembler aux africains. Nous devons y trouver : des lieux de mémoires, des musées, des architectures africaines et des lieux de convivialité et de vivre ensemble.
La ville Africaine qu’il nous faut ! Par le ghanéen Kobina Banning. Cette architecte a imaginé un Sankofa Garden City Parks dans le centre de Kumasi (2ième ville du Ghana). Pour imaginer cet espace, il a observé pendant plusieurs mois le mode de vie, les habitudes et les réalités sociales des 3, 5 millions Kumasiens. A noter que « Sankofa » signifie « se nourrir du passé pour mieux aller de l’avant ». Au Sankofa Garden City parks, on a : des jardins aux plantes indigènes, des espaces pour la méditation et la prière, des amphithéâtres en plein air, des stands pour commerçants, des réseaux de transports urbains et un centre de 1er soins. Cet imaginaire est le pur fruit de la culture Ghanéenne. C’est ce type de modèle qu’il faut pour les villes africaines.
Kobina Banning sur le projet Sankofa Garden City Parks
Priorité 3 – l’Economie
Une économie africaine pour une culture africaine. Ici aussi, Il faut comprendre les comportements économiques africains pour mettre en place des politiques économiques africaines plus efficaces. Les habitudes de consommation, d’investissements et d’épargne africaines sont différentes des européennes. Dans plusieurs cultures, on observe des habitudes propres au continent. Par exemple, en Afrique, souvent, le revenu ne profite pas uniquement à la personne et à sa famille proche. Une partie non-négligeable est redistribuée aux parents proches (parents, fratrie, etc).
L’économie relationnelle, une économie africaine. En Afrique, les objets et services circulent dans une économie qui met la priorité sur les relations entre les individus et les communautés. La pratique répandue des tontines en est la meilleure illustration (tontine : plusieurs personnes se mettent en groupe et cotisent dans une caisse commune. Le montant de cette caisse est remis à tour de rôle à chacune d’elles). Cela montre aussi que l’économie matérielle et l’économie relationnelle peuvent travailler ensemble. La valeur ajoutée de l’économie relationnelle, c’est qu’elle construit des relations de qualité. Prenons l’exemple du peuple Mourides au Sénégal. La devise la plus célèbre du fondateur de cette confrérie est la suivante : « Je vous recommande deux choses et ne leur associez pas une 3ième : c’est le travail et l’adoration de Dieu ». Il y a donc une culture très forte du travail mais aussi au don de soi et à l’obéissance à un guide spirituel. Exemple parfait d’une économie matérielle florissante dont le principal déterminant est une économie relationnelle. Et pour revenir aux fameux indicateurs dits « universels » comme le PIB, cette économie apporte beaucoup au pays, mais est impossible à quantifier avec les critères économiques actuels.
Quels solutions concrètes pour l’économie africaine ? Afrotopia propose les solutions suivantes :
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Arrêter les économies extractives et d’enclaves car elles posent des problèmes environnementaux et favorisent la corruption.
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Penser la gestion des ressources naturelles sur le long-terme. Aujourd’hui, il n’y a que des stratégies court-termistes faites pour répondre à des urgences du continent. Cela profite en réalités aux multinationales.
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Créer des institutions de gestion des ressources naturelles indépendantes aux cycles électoraux.
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Mettre en place un contrôle des citoyens sur les contrats miniers signés par les gouvernements africains et de l’usage des gains qui en sortent
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Une conscience transgénérationelle des hommes politiques africains
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Protection des terres arables africaines (Terres arables : terres qui peuvent être cultivées). La question alimentaire mondiale arrive à grands pas. Tous les yeux se tournent vers l’Afrique et ses 60% de terres arables. Si l’Afrique devient peu à peu le nouvel objet de convoitise de l’Occident (autrement dit, des multinationales occidentales avec l’aide des gouvernements occidentaux) sur le continent les
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Nouvelles stratégie d’investissements dans des politiques publiques fortes et dans les infrastructures. L’objectif : élever le niveau de vie des africains
Certains pays ont réalisé ces investissements et les résultats en termes de croissance économique sont très positifs (Ghana, Rwanda, ile Maurice, Kenya, Cap-Vert, Ethiopie, Botswana, Ouganda). Il s’agit à présent d’exporter ces modèles d’investissements à travers le reste du continent.
Priorité 4 – la politique
Il faut reprendre possession des espaces politiques actuels. Ils sont contaminés aussi bien à l’intérieur que depuis l’extérieur du continent.
Il faut des politiques africaines qui soient le reflet des cultures africaines. Au niveau politique aussi, il faut se baser sur la culture pour se renouveler. Au Rwanda par exemple, les maires des districts signent un contrat de performance qui les lie aux populations. Ces contrats sont portés par le concept de l’imihigo (« engagement vers la communauté » en kinyarwanda). D’où vient l’imihigo ? Du cœur de la tradition et de la culture rwandaise. Auparavant, les soldats partant en guerre faisaient l’ imihigo devant leur communauté. Cela signifie qu’ils s’engageaient à donner le meilleur d’eux-mêmes et d’être des héros dans leurs combats. Voilà une application directe de la culture rwandaise dans une politique actuelle. Les textes de ce contrat sont traduits dans les langues locales (et non dans les langues officielles européennes). Ce sont leurs langues, leur culture, leurs concepts. C’est pour cela qu’elles ont un impact. C’est parce qu’elles ont un sens aux yeux des populations locales.
L’Afrique et la démocratie. Est-ce compatible? Oui, mais pas la démocratie telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en Afrique. Il faut construire une culture démocratique africaine. La jeunesse africaine est d’ailleurs déjà en marche à ce niveau-là. En effet, depuis les années 90, on voit s’activer et s’organiser sur le continent africain des luttes pour des gouvernements véritablement multipartites ou encore pour la limitation de mandats. La volonté d’avoir des gouvernements dans lesquelles tous les citoyens participent (démocratie, donc) est déjà bien ancré chez les africains. Les chiffres d’une étude du site l’Afrobaromètre attestent de cette volonté. Cette enquête questionne les africains de 35 pays africains différents sur leur préférence en termes de mode de gouvernance politique ou encore sur leur propre compréhension et vision de ce qu’est la démocratie.
Le Balai citoyen est un mouvement issu de la société civile du Burkina Faso, qui a notamment pris part à l’opposition au président Blaise Compaoré.
4. Une Afrique forte est une Afrique fière d’elle-même
Et une Afrique fière d’elle-même c’est…
…une jeunesse qui exige le respect et ne voit plus l’Europe comme un El Dorado
Nous sommes le 20 Juin 2013, la Sénégalaise Bousso Dramé, lauréate du Concours National d’Orthographe, refuse son visa pour la France à cause du comportement désobligeant du consulat de France ! La symbolique de cet acte est délicieuse. Cet acte est le reflet d’une nouvelle jeunesse africaine, sans complexe, qui exige le respect et met aux oubliettes le rapport colonisateurs-colonisés. Dans la même mouvance, on remarque également l’Europe n’est plus vu comme la seule destination possible pour des études supérieures. On se tourne à présent vers le Canada, l’Amérique du Nord ou la Tunisie. L’outil par excellence de cette jeunesse : les réseaux sociaux. La jeunesse réagit, parle, s’insurge au moindre faux pas envers l’Afrique. On pense alors à Sarkozy et son fameux « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », à Emmanuel Macron qui se moque du président Burkinabé ou encore plus récemment à Macky Sall qui inaugure une place de l’Europe sur l’île de Gorée. Ajoutons que cette jeunesse, à défaut de pouvoir admirer ses propres présidents, admire et perpétue des figures d’indépendances et de respect comme Lumumba, Sankara, Nkrumah ou encore Mandela.
Thomas Sankara, chef d’Etat révolutionnaire et panafricaniste du Burkina Faso
…des africains qui n’attendent pas « la validation du blanc » pour attester de la qualité du travail d’un autre africain
On voit souvent cette tendance à toujours considérer ce qui vient de l’Occident comme meilleur. En Afrique de l’Ouest, une expression populaire pour désigner la science en générale est de dire « la science du blanc ». Avoir ce genre d’expression, c’est s’exclure tout seul du patrimoine scientifique mondial : et « cette tendance se retrouve à tous les niveaux de l’organisation sociale avec ce mythe de l’expert occidental blanc qui vient montrer comment mieux faire les choses » nous dit Felwine Sar. C’est un constat fait par Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs, et force est de constater qu’il est toujours actuel. Jugez par vous-même :
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La plupart des contrats publics agricoles sont décrochés par des sociétés occidentales alors que l’expertise locale est meilleure.
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Ce sont des blancs qui entrainent la plupart des équipes de football africaines (ils ne trouvent pas de poste en Europe, ils viennent alors en Afrique et sont parfois mieux payés que certains présidents en exercice)
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Les intellectuels et artistes africains sont souvent reconnus par leurs propres concitoyens, qu’à partir du moment où ils obtiennent une reconnaissance occidentale, vue comme validateur suprême de la qualité de leur travail : prix académiques, littéraires ou artistiques européens.
…une Afrique qui parle des langues africaine
Les langues africaines doivent reprendre leur place sur le continent africain. Mudimbé, Wiredu et Ngugi Wa Thiong’o s’accordent sur le fait que remplacer les langues européennes par des langues africaines dans le continent permettrait de décoloniser les esprits et de créer un univers 100% intime aux africains.
…une Afrique qui s’affirme et influence le monde à travers l’art
Achille Mbembé dans Sortir de la Grande Nuit dit que la musique, la religion et l’écriture sont des domaines qui peuvent servir à une communauté à s’élever car ils sont des domaines d’échanges entre les individus. La musique de Tiken Jah Fakoly, de Wasis Diop ou encore le hip hop Didier Awadi motivent une conscience africaine fière d’elle-même et, sur fond de panafricanisme, appelle à une révolution des pratiques en place. Egalement, les stylistes de mode africaine sont de véritables vecteurs d’un style afro contemporain impactant et reconnu dans le monde (Alphadi, Selly Raby Kane). Cette volonté de faire du 100% africain s’inscrit dans la volonté « de ne pas se présenter au rendez-vous les main vide ». En d’autres termes, c’est un moyen d’apporter sa part, sa spécificité, son travail, sa culture, ses concepts, ses créations, son originalité sur la table universelle du monde. Ce n’est donc pas la revendication de l’isolement et du non partage, au contraire, c’est la volonté de participer à une « contribution de l’Afrique à l’Humanité où chacun apporte son propre plat ».
Alphadi “le magicien du Désert”, créateur de mode nigérien
…une Afrique qui transforme sa diversité en richesse
Certains seront surpris de ce livre où on parle de l’Afrique comme d’un seul élément. L’auteur, Felwine Sarr est bien conscient de la pluralité du continent. Mais cette diversité est considérée comme un atout. Chaque pays africain partage : la même Histoire récente et le même destin. Il n’y a donc pas de problème à penser une Afrique ensemble.
5. En réalité, une solution pour l’Afrique, c’est une réponse pour élever l’Humanité tout entière à un autre niveau
« A l’Aube de l’histoire humaine, les africains colonisèrent des territoires hostiles, remportèrent une première victoire contre la nature en établissant des sociétés durables. Ils permirent donc à l’humanité de survivre[…]. » Felwine Sarr (selon le livre Les Africains. Histoire d’un continent de John Iliffe).
Voici ce que l’Afrique a fait aux premières heures de l’espèce humaine. Voici le don que l’Afrique a fait a fait au monde.
Et si on recommençait ?
Comment le continent qui a recelé les plus grandes civilisations qu’a connu le monde accepte aujourd’hui d’être qualifié de « sous-développé » ou d’être « en retard » ?
Ainsi, tout au long de cet article (et c’est ce qui transparait tout au long du livre Afrotopia), il est exposé qu’une réponse à la situation actuelle africaine est une Afrique qui retrouve ses racines. Il est montré que la société mondiale actuelle (matérielle et dirigée par une économie tout puissante), est à bout de souffle. Il est prouvé que la renaissance africaine passera par la mise en place d’une société où le bien-être des peuples et des hommes sera au centre de tout. Comme elle la déjà fait plusieurs millénaires auparavant, cette réponse africaine pour l’Afrique servira en réalité l’Humanité tout entière.
Afrotopia, c’est contribuer à une transformation positive de l’Afrique en mettant « l’homme au cœur de ses préoccupations en proposant un meilleur équilibre entre les différents ordres : l’économique, le culturel, le spirituel ». Dans ces temps de crises, penser l’Afrique c’est donc aussi faire une proposition pour le reste de l’Humanité.
Et cette idée, ne date pas d’hier, Frantz Fanon disait déjà que cette redécouverte de l’homme africain de lui-même sera un renouveau non seulement pour lui et l’Afrique mais ce sera un renouveau aussi et surtout pour l’humanité tout entière. La réponse africaine d’un problème africain sera incontestablement le moyen d’élever “l’Humanité […] d’un cran”.
Et je terminerai cet article tout comme Felwine Sarr a conclu son livre : L’Afrique doit “réhabiliter ses valeurs de jom (dignité), de vivre-ensemble, de téraanga (d’hospitalité), de kersa (pudeur, scrupules), de ngor (sens de l’honneur), exhumer et revivifier l’humanisme profond de ses cultures. […]. Ce jour-là, comme aux premières aubes, l’Afrique redeviendra le poumon spirituel du monde.”
Alors chers Afro Curieux, que pensez-vous de cette proposition de Felwine Sarr ? Dites moi tout en commentaires !
Focus Auteur – Qui est Felwine Sarr ?
Né en 1972 au Sénégal, Felwine Sarr est écrivain, économiste et universitaire. Ses cours et travaux académiques portent sur l’économie, il a d’ailleurs été distingué plusieurs fois, comme en 2010 par exemple où il est lauréat du Prix Abdoulaye Fadiga pour la Recherche Économique. Vous l’aurez compris, Felwine Sarr est également écrivain. On le connait surtout pour Dahij (2009), 105 Rue Carnot (2011), Méditations Africaines (2012) et Afrotopia (2016) qui lui a valu le Grand prix de la Recherche des Grands prix des associations littéraires (2016). Et c’est justement le livre que j’ai choisi de vous résumer aujourd’hui !
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