« Le post COVID sera-t-il une relance ou une refondation ? » Par Ibrahima Nour Eddine DIAGNE*

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Il faut déjà partir du postulat que cette crise connaîtra sans doute un terme, soit par l’avènement d’un remède ou d’un vaccin, soit par une résilience communautaire portée par des comportements appropriés et une immunisation collective aboutie. Cela veut dire que la fin de l’histoire est sans doute connue mais le grand mystère reste le « QUAND ». Un terme précoce de cette crise est l’espérance profonde de tous les êtres humains, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, malades ou en bonne santé, croyants ou athées, chinois ou chiliens, footballeurs ou balayeurs, politiciens ou paysans.

Jamais dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu communion d’espérance à l’échelle de ce que nous vivons actuellement. Si un individu détenait les clés du mystère, il serait intronisé prophète universel, au moins le temps que la confiance regagne les esprits et que les systèmes anciens tentent de se déployer à nouveau. Mais que se passerait-il si le terme de la crise se projette continuellement au mois suivant et que cela finisse par durer tout le long de l’année 2020 ? Suivant cette hypothèse, il est raisonnable de penser que les systèmes traditionnels qui garantissent la quiétude, les libertés et la sécurité risquent de se fissurer pour laisser la place à une sorte de refondation des communautés, des sociétés, des économies et du cadre international.

L’ordre n’a pas de prix. Le monde a pensé qu’il était stabilisé et que la deuxième guerre mondiale était la dernière entorse à la civilisation. Quelle grossière erreur. Le mal a juste été transposé vers des peuples qui laissent leur histoire s’écrire sur le dos de leur souffrance. Nous sommes en réalité toujours des barbares avec un verbe propre mais un fusil encore bien fumant. Cette parenthèse me permet d’aborder le sujet de la refondation.

Les nombreux questionnements et les nouvelles habitudes sont sans doute les signes annonciateurs de la construction d’une nouvelle civilisation qui sera meilleure ou pire que celle qui est en cours. Dans ce tournant, une notion me semble fondamentale à considérer. Il s’agit du rapport à la vérité. La confiance qui est à la base des équilibres se nourrit essentiellement de l’acceptation par les masses de principes consensuels, eux même assis sur des vérités convenues. Plus il y aura de vérités divergentes, plus il y aura d’antagonismes entre ceux qui les portent. Nous sommes entrés dans l’ère des mensonges sacralisés il déjà plusieurs siècles. Je me garderais de faire un inventaire des énormités mensongères de notre civilisation car je pourrais verser moi-même dans les travers de l’absolutisme des fausses vérités qui jalonnent la construction de notre civilisation. Toujours est-il que la fragmentation des référentiels de croyance correspond aussi à la fragmentation des possibilités de vivre ensemble. Au début, c’était un simple jeu où certains porteurs d’idées à vocation hégémonique s’évertuaient à maîtriser les canaux d’influence les plus solides pour à la fois véhiculer leurs aspirations et en même temps discréditer celles des autres.

Aujourd’hui, ces manœuvres sont dépossédées de leur efficacité par des alternatives cruellement identiques et redoutablement convaincantes à l’endroit de toutes les âmes qui se rebellent contre un système qui impose ses lois sans dévoiler ses actionnaires. Chacun considère que ses vérités sont justes et que celles des autres sont mensongères.

Alors que le choc des civilisations avait fini d’être théorisé pour donner une bonne conscience à tous ceux se démènent (consciemment ou inconsciemment) pour déplacer les frontières de la morale et de l’éthique, survient un invité surprise.

Depuis son avènement, aucun raisonnement léger ne tient. Même les esprits les moins éclairés ne succombent plus aux assauts de l’absurdité. Chacun s’aménage son propre rempart pour traverser la tempête. Certains se masquent, d’autres se retranchent mais tout le monde écoute, analyse et réfléchit.

Voici les bases de la refondation. Des humains plus responsables alimenteront des sociétés plus cohérentes et forgeront un idéal plus égalitaire et plus résilient. Cela est la constituante du changement de cap. La course débridée à l’enrichissement se verra désormais opposer une conscience ancrée sur les sens. Le capitalisme, la démocratie et le multilatéralisme seront réinventés. Le pouvoir ne se nourrira plus des artifices de la force du régalien mais plutôt de la logique élémentaire du bien être collectif. Il faut nécessairement bâtir des consensus solides, durables et inclusifs en mettant un terme aux égoïsmes cannibales et aux solidarités déclaratives sans application.

Cette refondation se matérialisera d’abord par la vacuité de l’espace qui consacre la crédibilité. Le politique, l’économique et le fanatisme, qui jadis se disputaient la place, prendront du recul. Du coup, de nouvelles légitimés se construiront pour combler le vide et pour donner un nouveau statut à la confiance et à la cohésion.

Il y a un fort risque de repli sur soi des pays et de leurs économies. Le système d’ouverture des frontières avait connu de premières restrictions avec l’apparition du sujet de l’immigration dans les discours politiques. Ensuite, la sécurité est venue redéfinir la gestion des frontières après le 11 septembre. Cette fois-ci, c’est la santé publique qui vient avec violence interrompre la traversée des frontières et c’est parti pour impacter durablement la liberté de circulation.

Les pays s’ouvriront entre partenaire de confiance et l’Afrique, pour une fois, sera obligée de compter sur elle-même. Le tout venant de l’étranger ne peut plus être une option assumée au nom des règles multilatérales. Aucune opinion africaine n’accepterait de voir sa population confinée et ses richesses dé-confinées. Je pense que les européens parleront d’Europe, les asiatiques d’Asie, les Arabes de leur région, les américains d’Amérique et donc les africains seront contraints de parler d’Afrique. Je dis bien contraint car en réalité l’Afrique donne souvent l’impression d’être plus généreuse dans les affaires envers ses partenaires que ces derniers ne le sont envers elle.

L’entreprise africaine ne sera pas en crise si elle se nourrit des richesses africaines. Ceci n’est pas une invite pour un repli africain, je crois encore à la mondialisation des enjeux et je ne verse pas dans les discours xeno-répulsifs. Tous les peuples sont dignes de considération et tous les Etats sont des partenaires utiles et bénéfiques. Il s’agit juste d’une invite pour un réalisme africain compatible avec un monde en reconstruction.

Voici le tableau du jour. Il changera sans doute à la faveur des évolutions.

*Ibrahima Nour Eddine DIAGNE, Digital Transformer. CEO Gainde 2000. MBA, M.Sc HEC Montreal – HEC Paris – STANFORD SEED

Dakar le 15 Avril 2020

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